L’auto faire-part
Mesdames et messieurs,
J'ai l'honneur de vous faire part de mon décès.
Oui, de mon propre décès.
Excusez-moi de vous prévenir après coup, mais étant sourd,
Je n'ai pas entendu ma dernière heure sonner.
Sinon, je vous en aurais averti de vive voix.
A vrai dire, je ne sais pas si j'aurais eu le courage
De vous l'avouer.
Je vous aurais peut-être dit:
"Bon, c'est pas tout, il faut que je parte",
Et comme partir, c'est mourir un peu,
Ca aurait déjà atténué l'effet de surprise.
Mais si je vous avais déclaré que je partais le premier,
Vous vous seriez dit : Il veut partir le premier
Pour que l'on dise
"Ce sont toujours les meilleurs qui partent les premiers".
En plus, rien que l'idée de vous annoncer la nouvelle
Me rendait malade.
Même à présent, c'est la mort dans l'âme
Que je me résigne
A vous informer de ce dernier incident de parcours.
La vie a parfois ses petits imprévus.
D'où ce faire-part en retard.
Mais c'est bien la dernière fois que cela se produit,
Croix de bois, croix de fer...
Remarquez, quand on m'a laissé entendre
Que j'avais déjà un pied dans la tombe,
Cela aurait dû mettre la puce à l'oreille,
Et me mettre vivement sur le pied de guerre.
Moi qui avais toujours vécu sur un pied d'égalité,
Il ne me restait qu'à vider mon bas de laine
Pour vivre ma dernière heure sur un grand pied.
Mais moi, je me suis dit :
" Si le deuxième pied ne s'use pas plus vite que le premier,
C'est pas demain la veille du jour où on m'enterrera".
Et là j'avais raison. Car on m'a enterré
Sur le champ, et sans témoin, dans la plus stricte intimité,
Sans même me laisser le temps de rassembler mes esprits,
Sans tambour ni trompette, pour ne pas attirer l'attention
Ni encombrer les rues.
Et peut-être aussi à cause des vapeurs d'essence
Qui auraient incommodé mes poumons,
Eux aussi déjà bien encombrés.
C'est que je suis un mort fragile!
J'aspire à ce qu'on me ménage
Avant que je ne retourne en poussière!
Qu'on se le dise donc: je n'y suis plus
Ni pour vous
Ni pour personne.
Qu’on ne me dérange donc plus.
J'en arrive, hélas,
A mes derniers mots,
Car, n'étant plus,
Je ne devrais plus penser,
Ce qui s'annonce d'un ennui...
Mortel !
P.S. : Sur ma tombe écrivez :
"Fermé pour inventaire"
Le temps que je compte mes os.